dimanche 18 décembre 2011

Les champigons




Les champignons de l'oncle Albert.

     
Mon oncle Albert, le chasseur, avait deux passions : la chasse et la cueillette des champignons. S'il avait essayé sans succès de m'initier à la première, je partageais la seconde avec jubilation. Albert n'avait pas besoin de livre, c'était un livre.
Antoinette, sa femme, était plus réservée. Craintive, elle était plus à l'aise sur le marché, devant un étalage de champignons de Paris, que devant le panier de trompettes des morts, de morilles ou de chanterelles que lui apportait son mari. Il est vrai qu'Albert, truculent jusque dans la gastronomie ne manquait pas de lui proposer de découvrir le satyre puant ou de goûter à son phallus impudicus, de préférence devant témoins, ce qui la rendait perplexe, et nous hilares, évidement.
Tu comprends, me disait-il, lorsque je ramène une belle récolte de ceps de Bordeaux, elle en emmène les trois quarts au marché pour les vendre une somme astronomique. Pour elle ce sont des champognons, voilà tout ! Y'a plus de poésie... Pour récolter un champignon, faut lui faire la cour. Il faut y mettre de la tendresse, du sentiment. Avant de lui demander son nom, faut le regarder... sans trop d'insistance... pour ne pas te laisser emporter par l'ivresse de la rencontre. La rencontre, c'est quelque chose. Tu la recherches, tu l'attends, tu l'espères. Tu y crois très fort, puis un peu moins, elle tarde, tu languis, tu n'y crois plus. Tu vas rentrer bredouille devant les quolibets avec ton panier vide le rouge au front. Et puis la voilà, au moment où tu ne t'y attendais plus. Attention, tu es saoul. Ton cœur bat. Ne te fais pas avoir. D'abord, tu remarques le chapeau, tu en apprécies les couleurs, si elles te plaisent tu vas plus loin. Tu regardes le pied s'il est comme tu l'attends tu regardes sous la jupe la forme de son cotillon. Y-a-t-il un anneau ? Dans ce cas il faudra être prudent. Tu évoques des souvenirs des ressemblances. La confiance s'installe, et enfin il te donne son nom. Tu peux l'emporter.
– Et tu le manges.
– Plus que ça : c'est la communion.
– La communion ! ! ?
– oui la communion, tu partages l'objet de ta foi pour le manger avec ceux qui la partagent avec toi ».
L'oncle Albert me plongeait parfois dans une stupeur hébétée pendant laquelle j'essayais en vain de détricoter la toile de ses pensées pour en suivre le fil. Il guettait ma réaction puis il reprenait :
– oui tu partages ta foi, car tu y crois à ces champignons. Ceux qui sont à ta table aussi  partagent cette croyance qui est : Ils sont bons à manger.
– wouai tonton, t'es un mysticologue toi.
–  Bravo mon jean, t'as compris. Y'a une mystique dans le champignon. Regarde les convives devant un plat de morilles, il y a ceux qui ont confiance. Pour ceux là, pas de problèmes, ils iront au paradis. Il y a ceux qui doutent, mais qui veulent y croire pour ne pas se démarquer. Ceux là, auront droit à un petit paradis. Ils trouveront les champignons bons mais avec une petite arrière pensée : et si on se trompait ? Et puis il y a ceux qui ne croient que ce qu'ils voient, qui ont besoin de preuves, les rationalistes impénitents. Ceux ci devront attendre le repas suivant pour monter au septième ciel... et encore, s'ils ne sont pas trop obtus. »
Je buvais ses paroles.
– Tonton, t'es un livre.

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