Voici le dernier volet du portrait de Jérôme et des souvenirs de Pradines commencés dans l'article du 25 octobre 2016
Nous sommes faits de ce que nous avons reçu. Il nous faut des
années, souvent pour nous rendre compte que ce que nous a donné une personne
est bien davantage que ce qui remonte consciemment en mémoire. Lorsque je me demande
d’où vient la source de mes choix de vie, je me dis que c’est comme
l’intuition : c’est un faisceau de sensations, d’émotions, d’expériences,
qui nous guident, souvent inconsciemment, vers une évidence : « oui,
c’est comme ça que ça fonctionne, c’est ça que je veux » mais pourquoi c’est
comme ça, on ne saurait le dire…
Jérôme dont je vous ai parlé dans les textes sur le Salagou
et Pradines est un des petits fils de ce faisceau. Et lorsque je me dis
« mais pourquoi c’est comme ça ? » il fait partie de ce
pourquoi. Il est un de ces fils qui m’ont guidé vers ce que je suis.
Pourtant, à première vue, nous n’avions pas grand-chose en
commun, il était marginal, j’ai été 30 ans éducateur. Il était asocial ;
j’ai aidé beaucoup de gens à trouver un peu de sens aux règles de la société.
Il était alcoolique et solitaire, j’ai aidé des milliers d’alcooliques et de
toxicomanes qui voulaient se sortir de leur addiction. Mais à l’époque de notre
rencontre je ne savais pas ce que j’allais faire de ma vie. A-t-il participé ? Il est un, dans ces milliers de fils.
Notre deuxième visite fut à des vacances de Pâques.
Deux
hivers de plus étaient passés, et les conditions de Jérôme dégradées. La grosse
table en bois était passée dans le fourneau qui chauffait la maison et des
visiteurs malveillants avaient fait de la casse, et Jérôme avait été menacé.
Il
nous a raconté ses hivers à Pradines, le froid, la violence…
La
solitude lui pesait. Certains soir, il entendait des gens parler dans le
village et lorsqu’il sortait : personne. C’était des impressions, le vent
qui soufflait entre les maisons et qui bruissait dans la charpente. Ce n’était
pas seulement des hallucinations dues à ses crises de manque… (ça aussi, il
s’était laissé aller à m’en parler), mais de réelles impressions qui avait
toute l’apparence de la réalité. Nous-même, Marie et moi, avions été victime
d’une de ces impressions. Nous étions, un matin, dans une des caves du passage
couvert dont j’ai parlé plus haut. Nous avons entendu une conversation en direction
du lac. Nous ne saisissions pas les paroles, mais il s’agissait bien, pour nous,
d’une conversation. En sortant de la cave, absolument personne aux alentours ! Je précise qu’à
ce moment-là, nous n’avions rien fumé. Nous retournons dans la cave : encore
cette conversation !
Nous
nous sommes rendu compte que le son venait du petit ressac provoqué par le vent
sur la berge du lac, à quelques mètres de la cave. Sous les voutes, il se
formait une résonnance particulière qui donnait cette impression de voix
humaine !
J’imagine
quel effroi cela peut provoquer dans la solitude prolongée de l’hiver.
A
notre troisième visite, la maison avait continué à se dégrader et Jérôme encore
davantage. Les pièces qu’il occupait avaient été détruites et il vivait dans le
grenier.
La dernière fois que je l’ai vu, je ne me
souviens plus très bien, ça devait être en 82 ou 83, La maison était devenue
totalement inhabitable. (Incendie, casse) Jérôme ne s’en était pas remis. Il
vivait à Clermont l’Hérault, dans une cabane à outils que la municipalité lui
prêtait « généreusement ». Mais,
la majorité du temps il était à l’hôpital. Nous l’avions emmené se promener
avec nous. Nous étions allée faire griller des saucisses dans la campagne, une
dernière fois il nous a montré son art de l’allumage d’un feu (c’était un
expert) Mais on sentait dans ses yeux et
sa voix qu’il avait commencé à quitter la scène. Extrêmement dégradé, Il était
au bout du rouleau…
J’ai
su quelques années plus tard, que les hivers suivants il les avait passés à l’hôpital
de Clermont l’Hérault.
Nous
ne sommes pas retourné le voir, devenu papa et occupé par ma profession et
diverses activité je n’ai pas trouvé le temps.
C’est vers
87, 88 que j’y suis retourné avec ma nouvelle compagne. Jérôme était décédé.
J’ai constaté avec horreur que Pradines avait été rasé. Le village présentait
du danger pour les populations qui traversaient les lieux. Il n’en restait plus
une trace ! J’y avais vécu tant de souvenirs que j’en aurais pleuré.
C’est
en prenant contact avec Sirius que j’ai su comment Jérôme était décédé dans un
hospice.
Jérôme
restera une figure importante de ma jeunesse.
Il
y a certainement beaucoup de gens qui sont passés à Pradines à cette époque et
qui se souviennent de lui.
Certainement,
le portrait que j’en trace est idéalisé, ce sont les souvenirs d’un vieux de 63
ans qui à 22 ans, découvrait le monde… qu’allais-je chercher dans cette
relation ? Je ne savais pas. J’y ai trouvé beaucoup.
Merci
Jérôme.
Les deux photos qui suivent proviennent du blog de Sirius.
Pradines avant le lac.
Encore une fois, merci Edmond pour ce récit poignant! Une époque "forte" de nos vies respectives, et pour moi probablement celle qui aura été la plus décisive de ma vie. Et aussi merci à Jérôme qui, du fond de son humilité, nous a laissé ces souvenirs...
RépondreSupprimerOui, c'est malheureusement des souvenirs lointains, il se sont émoussés. Je pensais, en les écrivant qu'il m'en reviendrait davantage. Ce que j'ai écrit est la quasi totalité de ce dont je me souviens alors que j'en ai vécu bien davantage. Bah, il reste l'essentiel. Merci pour tes encouragements.
SupprimerEdmundo.