Le principe des blogs fait apparaître les articles les plus récents en premier, c’est un peu déroutant lorsque l’on fait des articles à épisodes…
Ce texte fait suite aux articles des 25 et 29 octobre sur le Salagou et Jérôme.
Avec
l’ébauche que j’y fais de son portrait, on pourrait s’attendre à un personnage
hors norme, un sage Hermite ou un rebelle solitaire refusant d’entrer dans le
rang…
Non,
Jérôme était un marginal, lorsque je dis cela, je ne porte aucun jugement, nous nous sommes vite rendu compte que son existence
était plus proche de la clochardisation que d’un choix délibéré de
non-conformisme, il ne refusait pas de rentrer dans le rang, il n’en avait
jamais compris les règles, mais le personnage était attachant, démuni en tout, il dévoilait
ses richesses à qui voulait bien l’écouter et l’accepter comme il était. C’est
ainsi qu’a débuté une amitié de plusieurs années. Et c'est pourquoi je souhaite vous en faire partager l'histoire.
Il
avait peint « MAIRIE » au-dessus de sa porte et s’était lui-même élu
maire du village et seul administré.
Il
vivait, disait-il, des portraits qu’il faisait des quelques randonneurs qui
passaient par là l’été. Nous avons compris, plus tard, qu’il vivait avec sa
pension d’invalidité (il ne lui restait que 80% d’un seul poumon) il était
évident que ce qu’il gagnait avec ses dessins ne suffisait pas à le nourrir.
Cependant, il disait qu’il avait appris le métier de portraitiste à Montmartre
et qu’il y avait exercé longtemps. C’était vrai car, comme le personnage était
un peu roublard, j’avais eu envie de savoir. Je m’y étais rendu quelque temps
après, et j’avais questionné de vieux peintres sur la place du tertre. L’un
d’eux se souvenait de lui et m’avait donné des détails qui correspondaient avec
ce que disait Jérôme. Notamment qu’il était passé par la case prison dans sa
jeunesse.
Jérôme
se disait d’origine polonaise et qu’il y avait encore sa maman mais il ne la
voyait plus.
Roublard,
il l’était, car il changeait de personnage selon les interlocuteurs en
présence. Au début de notre rencontre, vu le contenu que prenait notre
conversation il s’était dit anarchiste. Il disait que Léo Ferré lui rendait
visite de temps en temps, et il insistait bien sur le fait que lui, lorsqu’il
venait, c’était les bras chargés de victuailles et qu’il ne repartait pas sans
laisser quelques billets.
Je
le laissais se raconter une vie idéale. Il savait que je n’étais pas dupe, une
pudeur bienveillante s’était installée entre nous.
Je
pense que s’il était resté vivre à Paris, il serait mort sous un pont. Il était
bien démuni et n’avait jamais acquis les moyens de s’armer contre les
difficultés d’une vie socialement bien réglée. Au village, il s’était
reconstruit un personnage. Il était maire, hippie, peintre, anarchiste… et
chacun de ces personnages laissait une empreinte sur la rencontre du moment. Il
recevait des lettres des gens qui l’avaient rencontré à Pradines. Certaines
très élogieuses. Il m’en avait lues plusieurs.
Mais,
la solitude était profonde. Il la supportait avec la dive bouteille qui
l’accompagnait et l’aidait à calmer bien des douleurs. Des récentes et de très
anciennes… Nous nous étions laissé aller à des confidences.
Il
me semble bien ne l’avoir jamais vu ivre, pourtant, il descendait bien ses
quatre litres de gros rouge par jour, et malgré ses problèmes respiratoires, il
fumait comme un pompier… il était solide le gaillard !
Il
fallait bien qu’il le soit car, si l’été était chaud, l’hiver était rude au
village, le chauffage rudimentaire et les fenêtres tout autant. La présence du
lac rendait le vent glacial.
Et
puis, il ne passait pas dans le village que de sympathiques randonneurs, le
lieu attirait de la misère. Des arsouilles du coin qui venaient se planquer là
lorsque ça devenait un peu chaud pour eux en ville… Jérôme avait quelques
cicatrices récentes. Elles ne s’étaient pas faite en tombant dans l’escalier.
Il
était roublard, je l’ai dit, mais honnête. Lors de notre premier séjour à
Pradines, j’avais un jour oublié mon porte-monnaie chez lui. De retour deux jours après, il me
l’avait redonné : il ne manquait rien…
Nous
nous sentions en totale sécurité chez lui.
Il
cultivait un petit jardin au-dessus du village. Il l’arrosait grâce à une
source qui devait alimenter Pradines dans les temps anciens.
C’est
cette source qui lui fournissait l’eau de boisson.
Il
recevait son courrier chez des bergers qui habitaient une petite maison au bord
du lac entre Pradines et Celles. Ils lui faisaient ses courses et lui ramenait
son vin… la mort dans l’âme car le berger m’avait dit un jour qu’il avait
suggéré à Jérôme de se faire soigner de son alcoolisme mais sans succès.
Ceci
dit, c’est l’alcool qui le maintenait. Si on le lui avait supprimé, il n’aurait
pas résisté longtemps.
Dans un prochain article, je raconterais notre deuxième visite. cette photo date de cette visite
Jérôme en papa hippie
Cette photo date des dernières années de Jérôme à Pradines, la maison était très dégradée
Cette photo date de l'hiver 80. Elle vient du blog de Sirius http://veaugues.over-blog.com/article-souvenirs-121721460.html