Mon
oncle Albert, le chasseur, avait deux passions : la chasse et la cueillette des
champignons. S'il avait essayé sans succès de m'initier à la première, je
partageais la seconde avec jubilation. Albert n'avait pas besoin de livre,
c'était un livre.
Antoinette, sa femme, était plus réservée. Craintive, elle était
plus à l'aise sur le marché, devant un étalage de champignons de Paris, que
devant le panier de trompettes des morts, de morilles ou de chanterelles que
lui apportait son mari. Il est vrai qu'Albert, truculent jusque dans la
gastronomie ne manquait pas de lui proposer de découvrir le satyre puant ou de
goûter à son phallus impudicus, de préférence devant témoins, ce qui la rendait
perplexe, et nous hilares, évidement.
Tu comprends, me disait-il, lorsque je ramène une belle récolte
de ceps de Bordeaux, elle en emmène les trois quarts au marché pour les vendre une somme astronomique. Pour elle ce sont des champognons, voilà tout !
Y'a plus de poésie... Pour récolter un champignon, faut lui faire la cour. Il
faut y mettre de la tendresse, du sentiment. Avant de lui demander son nom,
faut le regarder... sans trop d'insistance... pour ne pas te laisser emporter
par l'ivresse de la rencontre. La rencontre, c'est quelque chose. Tu la
recherches, tu l'attends, tu l'espères. Tu y crois très fort, puis un peu
moins, elle tarde, tu languis, tu n'y crois plus. Tu vas rentrer bredouille
devant les quolibets avec ton panier vide le rouge au front. Et puis la voilà,
au moment où tu ne t'y attendais plus. Attention, tu es saoul. Ton cœur bat. Ne
te fais pas avoir. D'abord, tu remarques le chapeau, tu en apprécies les
couleurs, si elles te plaisent tu vas plus loin. Tu regardes le pied s'il est
comme tu l'attends tu regardes sous la jupe la forme de son cotillon. Y-a-t-il
un anneau ? Dans ce cas il faudra être prudent. Tu évoques des souvenirs des
ressemblances. La confiance s'installe, et enfin il te donne son nom. Tu peux
l'emporter.
– Et tu le manges.
– Plus que ça : c'est la communion.
– La communion ! ! ?
– oui la communion, tu partages l'objet de ta foi pour le
manger avec ceux qui la partagent avec toi ».
L'oncle Albert me plongeait parfois dans une stupeur hébétée
pendant laquelle j'essayais en vain de détricoter la toile de ses pensées pour
en suivre le fil. Il guettait ma réaction puis il reprenait :
– oui tu partages ta foi, car tu y
crois à ces champignons. Ceux qui sont à ta table aussi partagent cette
croyance qui est : Ils sont bons à manger.
– wouai tonton, t'es un mysticologue toi.
– Bravo mon jean, t'as compris. Y'a une mystique dans
le champignon. Regarde les convives devant un plat de morilles, il y a ceux qui
ont confiance. Pour ceux là, pas de problèmes, ils iront au paradis. Il y a ceux
qui doutent, mais qui veulent y croire pour ne pas se démarquer. Ceux là,
auront droit à un petit paradis. Ils trouveront les champignons bons mais avec
une petite arrière pensée : et si on se trompait ? Et puis il y a ceux qui ne
croient que ce qu'ils voient, qui ont besoin de preuves, les rationalistes impénitents.
Ceux ci devront attendre le repas suivant pour monter au septième ciel... et
encore, s'ils ne sont pas trop obtus. »
Je buvais ses paroles.
– Tonton, t'es un livre.